Le vendredi 7 novembre au soir, notre groupe du Sud, clubs de Nice, Cannes et Pierrefeu, était impatient de retrouver les amis du club des Dahus de Grenoble.
Comme chaque année, l’accueil est toujours au top ! Chacun a participé à l’organisation conviviale et chaleureuse et, dans le Dôjô au parquet chantant et aux fresque printanières, on se sent chez soi.
Gilles Tache et Jean-Claude Hamel nous ont concocté un programme d’exercices sur le thème du RI AI, la Cohérence ciselé sur mesure avec de nouveaux horizons à explorer. Pendant presque deux jours, nous avons enchaîné les entraînements avec des partenaires venus d’horizons divers pour des échanges enrichissants.
Jean-Claude Hamel nous propose ici de partager ses réflexions sur le thème du RI AI. A lire et à relire pour avancer dans la pratique.
Le Concept de Ri-Ai

de Jacky Ponsot
Quand on cherche à définir ou à approcher en français le concept de Ri-Ai dans le domaine du Budō, trois synonymes sont fréquemment mis en avant, issus de la traduction des Kanji, « la logique », « la cohérence », « l’harmonie ».
– Est « logique (Ri) » un enchaînement cohérent d’idées ou d’évènements, c’est-à dire dépourvu de contradiction.
– enchaînement cohérent d’idées : des préceptes, usages, règles, par rapport au corpus des principes communs à la discipline pratiquée ou plus largement au Budō.
– enchaînement cohérent de gestes (alignements
segmentaires du squelette, circulation interne de
l’énergie) ou de mouvements (Uchikomi, Kata, attaque, défense).
« La cohérence est le fait de se tenir ensemble, mais en un sens logique plutôt que physique : est cohérent ce qui est dépourvu de contradiction ».
– Proche de la cohérence, la cohésion. « La cohésion est le fait de se tenir ensemble, mais en un sens physique plutôt que logique : c’est moins ici l’absence de contradiction, que l’absence de failles ou d’affrontements ».
– Une stratégie pédagogique commode et familière pour approcher concrètement la qualité du Ri-Ai réalisé dans le courant de notre pratique martiale est d’en relever, sur l’instant, les éventuels éléments qui apparaissent comme contradictoires (oppositions, incompatibilités, divergences, discordances, désaccords). La plupart de ces contradictions peuvent ainsi être « pointées » par le pratiquant lui-même au travers de ses propres perceptions et sensations et/ou par l’enseignant.
Si le Ri-Ai est défini par la « cohérence logique », est cohérent ce qui est dépourvu de contradiction. Une stratégie commode et applicable à nos pratiques martiales, ses préceptes, ses divers mouvements, est d’y pointer sur un instant de la pratique, les contradictions qui apparaissent.
La liste de ces contradictions possibles est bien longue… Ma-Ai erroné ou mauvaise évaluation du Ma-Ai, erreur de cible, mauvaise perception ou évaluation des rythmes, mauvais timing, absence de Kimusubi, Isshin – insuffisance ou excès d’implication dans un mouvement, Kamae inadapté à l’attaque ou à la situation, Shisei – posture physique et/ou mentale « déséquilibrée », Zanshin – insuffisance de vigilance et de présence ou trop grande focalisation, Te no Uchi et Ha-Suji – incohérence entre saisie et Ha-Suji, etc.… sans parler des diverses et multiples contradictions « internes », corporelles, émotionnelles, et mentales qui
peuvent apparaître.
Dans le domaine du Budō et du Bujutsu, les contradictions importantes à mon avis, sont celles qui impactent négativement le concept de Kō-Bō Ichi – tout mouvement martial peut être analysé comme un mouvement combinant à la fois et dans le même temps (Ichi), attaque (Kō) et défense (Bō).
Le Ri-Ai en Budō est de fait intimement lié à Kō-Bō Ichi. Je vois un lien pédagogique fort et interactif entre la pratique de notre logique martiale imprégnée de dangers et de prise de risques demandée par le Ri-Ai en Budō, et le cheminement personnel d’une prise de conscience dans un premier temps puis d’une recherche systématique d’optimisation de Kō-Bō Ichi dans les mouvements et les intentions. Attaquer oui peut-être, mais en priorité préserver son intégrité physique et donc se protéger suffisamment… pour a minima « survivre ». Cet objectif prioritaire d’une impérative survie semble bien remonter à la nuit des temps… et pour tout être vivant. Dès que l’on se trouve partie prenante d’une situation conflictuelle, il semble bien qu’il existetoujours un « équilibre » à trouver entre deux versants, Kō (l’attaque) et Bō (la protection) – que l’on pourrait peut-être associer à deux pulsions entremêlées, une pulsion de vie (protection) et une pulsion de mort (attaque).
Dans nos mouvements de Budō, attaque et défense sont toujours présents et imbriqués l’un dans l’autre, comme le Yin-Yang, Ce concept de Kō-Bō Ichi est explicite en Jō, car il semble bien tenir compte de la réalité de notre arme en bois, et d’une forme de priorité donnée à la protection (Bō) sur l’attaque (Kō), en lien avec l’instinct de survie. Le Jō ne peut être efficace contre un Katana ou autres armes métalliques, qu’en équilibrant et en optimisant ses mouvements entre défense et attaque.
Les critères de cohérence sont différents en Bujutsu et en Budō.
- En Bujutsu, il s’agit de survivre et d’être efficace (tuer ou blesser l’adversaire),
d’optimiser Kō-Bō Ichi avec une dimension « vitale » dans la réalité d’un combat à mort – Shinken shobu. La notion de Ri (logique), purement individuelle voire
individualiste, est ici nécessaire et suffisante. - En Budō, la notion de Ri (logique) est nécessaire mais non suffisante. Elle existe ici avec une vision élargie, collective et respectueuse du partenaire. Au travers de formes pré-arrangées, c’est ici une recherche d’efficience, mais aussi d’esthétique et d’« Harmonie »… d’où le Ri-Ai.
Ce concept de Ri-Ai, en Jō SMR comme en Budō, apparaît comme très universel et transversal à nos diverses disciplines martiales. Il est omniprésent dans notre pratique martiale dans chacun de nos Kata et Uchikomi, et lui donne du sens.
Pour revenir à la spécificité de la pratique du Jō SMR, voici deux idées particulières mais générales ou deux principes qui manifestent et caractérisent la cohérence du savoir-faire du Jō et du savoir-être de Shidachi, face à un attaquant muni d’un sabre. Le Jō, à l’origine un simple bâton rond de marche en bois, doit pouvoir être pensé et utilisé comme une arme à part entière, qui puisse être et rester efficace lorsqu’elle est confrontée à des armes en métal et tranchantes, tels le Katana ou la lance.
Lors de l’affrontement d’un Katana et d’un Jō, au moment de la prise de contact des deux armes, il ressort que l’un des principes essentiels pour le Jō – un bâton en bois – est d’arriver à « dévier » la trajectoire rectiligne d’un Katana – qu’il s’agisse d’une coupe ou d’un coup d’estoc (Tsuki). Ici apparaît en évidence l’importance cruciale de la rencontre entre les deux armes et de la « qualité du contact ».
A partir de cet axiome de départ, de cette intention pour le Jō de « dévier » le sabre, la présente réflexion s’intéresse à deux approches particulières, transversales à notre pratique, et qui aujourd’hui me semblent personnellement éclairantes, et m’apparaissent comme deux outils à la fois simples à utiliser mais aussi multi-tâches, en raccourci deux Couteaux Suisses !
Le principe de « Maki » et le principe du « Coin ».
1 – Maki ou l’action d’enrouler, d’enrober, d’envelopper.
La notion de Maki et les nombreuses techniques dérivées du même nom semblent particulièrement bien adaptées à une utilisation efficiente du Jō, un bâton rond en bois, qui doit faire face (et bonne figure !) à un Katana en métal trempé et « tranchant ». L’essence de Maki est de coller à l’arme attaquante, de l’enrober, de la recouvrir, de la contrôler, et ainsi de la « neutraliser ». Cela donne l’opportunité à Shidachi et à son Jō de pouvoir s’adapter aux principaux types d’attaque venant d’un Katana – coupes et coups d’estoc – et de proposer à chaque attaque des réponses efficientes qui permettent de réussir à trouver un équilibre entre Kō (l’attaque) et Bō (la défense).
Comment peut-on réaliser la cohérence de deux trajectoires qui vont se rencontrer, celle rectiligne et agressive d’un sabre métallique et tranchant avec celle d’un Jō, un simple bâton en bois ?
Comment peut-on alors prendre en compte au mieux les qualités intrinsèques d’une arme en bois face à une arme métallique ?
Face à une trajectoire « rectiligne » (la coupe tranchante d’un Katana métallique), une solution pour le Jō est de proposer une trajectoire « curviligne » qui vienne se marier « en tangence » avec un Contact de type « Caresse » (l’enrobage du sabre en métal avec le Jō rond en bois).
Ce contact, maintenu « collé-serré » avec le sabre, va ainsi permettre de l’enrober, le contrôler, le guider, le dévier et au final le neutraliser sans heurts. C’est alors tout l’Art d’appliquer et d’adapter le principe de Maki. Dans un Maki, on ne s’oppose pas à la force qui agresse, mais par un mouvement arrondi ou en spirale, on commence par l’accueillir en tangence et dans un Contact-Caresse subtil au plus fin.
En exemples, Maki Otoshi et Kuri Hanashi sont deux expressions de cette notion commune de Maki.
Dans ces deux concepts et leurs diverses applications techniques, on retrouve cette même façon de coller, d’adhérer à l’arme adverse, cet enrobage qui la recouvre et au final s’avère « neutralisant ».
En remarque, ces deux expressions de la notion de Maki sont complémentaires, et proposent deux directions de mouvement agissant à l’opposé.
- Maki Otoshi est un Maki dont le sens va vers le bas, vers la Terre. L’intention et l’objectif martial sont ici d’écraser l’adversaire.
- Kuri Hanashi est un Maki dont le sens va vers le haut, vers le Ciel. L’intention et l’objectif martial sont ici de déraciner l’adversaire.
Ainsi, cette notion de Maki se montre en accord et en cohérence (Ri-Ai) avec la pratique de notre ryū SMR Jō, révélant les complémentarités martiales, Jō – Sabre, Bois – Métal, trajectoire Curviligne – trajectoire Rectiligne, Enrouler – Trancher.
2- Le Coin.
Le Coin triangulaire est un principe « géométrique ». En Budō, avec son image de « pointe de flèche », le Coin correspond à une forme d’attaque-défense optimisée, le plus souvent dirigée sur le centre de l’adversaire. Le principe du Coin s’accorde au maniement d’un Jō. Multiforme et adaptable, le Coin peut se décliner dans divers plans, horizontal et/ou vertical, offrir un angle plus ou moins fermé, donnant ainsi lieu à des techniques variées mais toujours efficaces.
Le Coin permet de dévier, de s’insérer, et au final de casser une attaque adverse.
Pour cela, il doit être réalisé dans un temps juste (Kairos) et coller au plus près à la forme et à l’intensité de l’attaque.
La technique spécifique Honte ni Kamae réalisée avec un Jō face à un sabre en est une application essentielle, et qui permet également d’optimiser le concept de Kō-Bō Ichi. Effectuer Honte ni Kamae en Chokusen Irimi, en contrôlant la ligne centrale sur une attaque Shomen Uchi ou Kesa Giri ou Tsuki, c’est comme projeter un Coin qui vient s’insérer et casser l’attaque de Uchidachi. La coordination des deux mains et du corps entier doit être excellente afin d’obtenir un Ki-Ken-Tai Ichi optimum et efficace et exprimer un Ri-Ai crédible.
La plupart des techniques de Maki Otoshi tirent également profit de ce principe du Coin.
Deux notions me semblent être au coeur de Shintō Musō Ryū Jō, le principe de Maki avec la grande capacité d’adaptation et d’efficience d’un enrobage neutralisant avec un Jō, et le principe du Coin et ses multiples déclinaisons de Honte ni Kamae et de Maki Otoshi permettant de dévier et de casser les attaques d’un sabre.


RI AI ou La Cohérence en Shodô
calligraphie au Shomen du stage des Dahus 2025
Pourquoi calligraphier RI AI en style Sosho c’est commencer, avant l’heure, le stage sur le thème de la Cohérence ?
Tout se passe comme pour réaliser un film.
Tout d’abord, organiser un casting. Il n’y a pas d’acteur pour incarner RI AI à lui tout seul.
Dans le vivier des artistes Shodô (réunis dans un dictionnaire aux fines pages de parchemin), il va falloir sélectionner, parmi de multiples candidats, les principaux protagonistes. Ils sont trois, RI, A et enfin I.
Ensuite, arrivent les essais sur plateau (la feuille). Les trois chanceux vont avoir à se connecter, s’apprivoiser, parfois fusionner sans pour autant se dénaturer…
ça prend du temps… Le metteur en scène doit faire preuve de patience et les acteurs de souplesse !
Enfin, au moment de la dernière prise, quand les interprètes jouent de concert et en Cohérence (vu qu’il est nécessaire de respecter les délais de parution), la mouture finale se déroule.
Il ne reste plus qu’à signer en tout petit, comme dans les génériques, mais attention, avec la même encre et le même pinceau !
En Shodô, la fusion du Jô, du Ken et du Kodachi se coule dans une petite arme qui elle aussi déroule sa Voie !
Marie